dimanche 6 septembre 2009

Faisceaux

La femme allaite un bébé, assise sur une chaise en mélamine blanche dotée de coussins à grosses fleurs pastel.

La petite fille, la soeur du bébé, a trois ans. L'ardent désir de communiquer à la femme l'objet de ses jeux, avec force mots intelligents, avec force comptines et chansons est plus forte que l'interdiction d'entrer dans la chambre. De sa démarche sautillante, la petite fille franchit le seuil du sanctuaire de sérénité.

La petite fille est brillante; elle est bruyante aussi. Les adjectifs se succèdent et ne se ressemblent pas et de sa petite voix aigue, elle jacasse à propos de mondes imaginaires inintéressants aux yeux des grandes personnes.

La femme a eu une dure journée. Pour elle, en fait, chaque journée est dure. Nourrir le bébé, le laver, le cajoler, changer ses couches pleines de caca, le bercer. Chaque geste est pénible. Chaque moment lui lance au visage sa vie perdue d'indépendance et d'irresponsabilité, sa jeunesse envolée lors de deux moments de plaisir.

"FAIS D'L'AIR!" (Un indez fend l'espace, pointe la porte)

"Mais Maman! Tantôt, je jouais avec mes toutous, et..."

"Ma petite maususse, ça va faire!" Ses dents se serrent, ses yeux s'exorbitent. Cela lui donne un air de squellette engraissé par deux grossesses, un squelette amer de sa beauté perdue et exaspéré.

Le bébé pleure. La femme le dépose dans son berceau où il s'égosille. Elle se lève brusquement, franchit le mètre qui la sépare de la petite fille et referme ses doigts autour de son bras, près de l'épaule. C'est un petit bras de quelque centimètres de diamètre qu'elle tire diagonalement vers elle puis verticalement, soulevant la petite fille du plancher de marquetterie.

Avec un son sourd répété, ses talons martellent le sol à travers la chambre, le corridor, la petite fille pleurnichant à sa suite, le bras scellé à sa main, les jambes molles pour "faire sa lourde".

Déposée sans douceur sur son propre lit, la petite fille regarde la femme sortir de la chambre sans la regarder et fermer sèchement la porte.

Des larmes emplissent ses yeux et son visage se déforme. Sa maman ne l'aime plus depuis que sa soeur existe, elle s'en est persuadée.

Elle regarde les lumières du dehors se déformer à travers la loupe déformante de l'eau salée, à travers ses yeux plissés. Elle s'amuse à faire se déplacer les faisceaux dans son oeil, assise sur son lit, geignant, gémissant.

Pourtant sa maman l'aime encore et elle le sait. Mais elle aime bien croire que c'est faux pour voir encore les rayures lumineuses. Elle se motive à pleurer, renifle, émerveillée par le spectable son et lumière que sa peine lui offre.

De sa chambre, la femme prend son bébé comme un sac et lui fout son sein dans la bouche. Le bébé se tait et tète.

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